C’est une erreur très courante et malheureusement répandue de croire que les comportements de prédation et les comportements d’agression sont tous du même ordre, cela a d’ailleurs donné lieu à ce qu’on appelle à tort « l’agression de prédation ».
Bien qu’ils puissent parfois sembler similaire en apparence, la prédation et l’agression chez le chien sont deux types de comportements distincts.
Afin d’éviter les amalgames cet article explore ces distinctions pour mieux comprendre leur origine, leur fonctionnement et leurs implications.
Sommaire :
Définitions
- Prédation :
La prédation est un mode de recherche alimentaire consistant à capturer une proie vivante et à l’ingérer.
Elle est caractérisée par des comportements logés dans des patrons-moteurs. Un patron-moteur est une séquence comportementale génétiquement programmée, innée, qui n’a pas besoin d’être appris pour s’exprimer.
Dans le comportement de prédation, il existe plusieurs patrons-moteurs :
1. L’orientation
2. La fixation visuelle
3. La traque
4. La poursuite
5. La capture
6. La mise à mort
7. L’ingestion ou l’enfouissement pour ingestion ultérieure
Chez le chien, la sélection artificielle perpétrée par l’homme a eu un impact significatif sur les comportements de prédation. En effet, l’humain ayant eu besoin de certaines caractéristiques comportementales spécifiques, il a sélectionné les individus ayant les comportements qui lui étaient utiles. C’est pourquoi, tous les chiens ne présentent pas tous les comportements inhérents à la prédation.
Exemple : Un Border Collie, en rassemblant un troupeau de moutons, suit les étapes d’orientation et de traque sans jamais aller jusqu’à la mise à mort
La motivation première du comportement de prédation est la faim. Cependant, dans le cas des chiens domestiques qui sont bien nourris, la faim ne serait pas assez importante pour favoriser l’ingestion et donc obtenir une séquence de prédation complète. En effet, d’après Fleurot dans son étude pour sa thèse de doctorat en 1992, entre la recherche de proie, la technique d’approche, la mise à mort et la consommation de la proie, seuls 40% des chiens ont réalisé une séquence complète. Donc pour une majorité, il est possible de conclure que la domestication a eu un impact sur le déroulement de la technique de prédation en particulier dans la phase de recherche et dans la phase consommatoire.
Dans les chiens domestiques donc la motivation alimentaire est à dissocier totalement d’autres motivations qui sont le sujet en mouvement et aussi le fait d’avoir repéré l’odeur d’une proie ou de l’avoir entendue. Ce sont ces stimuli-là qui vont entrainer l’activation du comportement de prédation.
Exemple : Un chien court après un vélo. Ici, le mouvement déclenche son instinct de poursuite mais lorsque le vélo s’arrête le chien s’arrête également.
La prédation a pour fonction de réduire la distance séparant le chien de la proie, en adoptant des comportements d’approche spécifiques au prédateur qu’il est.
- Agression :
Dans son dictionnaire de l’éthologie, Klaus Immelmann, définit l’agression comme un « comportement animal allant de la menace et de l’intimidation jusqu’au combat ».
D’après Bertrand Deputte (2007), les comportements d’agression réalisés par le chien sont des comportements réactionnels et relationnels. Ils ont pour fonction la mise à distance d’un autre individu, que ce soit dans le cas de relation intraspécifique mais aussi interspécifique.
À l’instar des comportements de prédation et tout autre séquence comportementale, l’agression est composée de plusieurs phases telles que :
1. La phase de menace ou d’intimidation :
La menace ou l’intimidation est une forme de communication qui a vocation à intimider un tiers (congénère ou non).
2. Une phase de passage à l’acte
Cette phase est constituée par les morsures (réelles ou esquissées), griffures et combats.
3. Une phase de stabilisation
C’est la phase du retour au calme et l’apaisement des émotions lorsque l’élément déclencheur disparaît ou qu’un des protagonistes est vaincu.
L’agression chez le chien s’exprime par une communication préalable à travers diverses postures, mimiques et vocalises tels que le grognement, le regard fixe, les babines retroussées ou encore la pilo-érection, qui varient toutes en intensité en fonction de la réponse ou de la distance du protagoniste.
Comme indiqué plus haut par Bertrand Deputte, ils ont vocation à éloigner un adversaire. Une relation triangulaire s’instaure entre l’individu, le protagoniste et la ressource à défendre. L’initiateur de l’agression va défendre sa ressource (nourriture, partenaire social ou sexuel, zone de repos…) mis en danger par le protagoniste.
Exemple : Un chien grogne lorsqu’un autre s’approche de sa gamelle. Ce comportement vise à maintenir une distance avec un potentiel intrus.
L’agression et prédation dans le cerveau
Afin de mieux comprendre les différences les différences entre les comportements d’agression et de prédation, il nous faut nous intéresser aux différentes structures cérébrales impliquées.
Vous allez constater que les mêmes structures sont impliquées dans l’agression et la prédation mais que la différence est subtile car elle se situe au niveau des sous-régions respectives engagées.
Pour ce faire je me servirais comme point de départ, l’article de Marie-Lise Frandemiche, neuroscientifique et comportementaliste canin, sur les différences neuronales entre l’agression et la prédation, Dans l’article en question elle y décrit des études qui ont été menées sur l’implication de l’amygdale chez les mammifères dans les comportements appétitifs (activité de recherche de nourriture comme les comportements de prédation).
L’amygdale
Autrefois associée uniquement aux comportements purement émotionnels (dont l’agression), l’amygdale joue également un rôle clé dans les comportements de prédation. D’après Marie-Lise Frandemiche, l’amygdale centrale est impliquée dans la poursuite et d’autres étapes de la prédation. En effet des expériences ont montré que l’activation ciblée de certains neurones dans cette région déclenche des comportements de poursuite.
En revanche, lors d’attaques entre congénères, la stimulation des zones liées à la prédation (morsure, mise à mort) échoue à activer une réponse. Cela indique que l’agression intraspécifique n’est pas régie par l’amygdale, mais par des zones supérieures du cerveau : l’hypothalamus.
L’hypothalamus
Il joue un rôle central dans les réponses au stress et les comportements sociaux :
Hypothalamus ventromédial (VMH) : s’active lors des comportements agressifs.
Hypothalamus dorsolatéral : impliqué dans la prédation, notamment en modulant les circuits neuronaux liées à la motivation et aux actions ciblées (en particulier aux réponses motrices nécessaires à la capture des proies). Des études sur des modèles animaux, comme les rongeurs, ont montré que la stimulation de l’hypothalamus dorsolatéral active des comportements de chasse, notamment l’approche furtive et l’attaque. Cette région intègre également des signaux sensoriels pour évaluer les stimuli prédatifs et coordonner les réponses comportementales.
Substance grise périaqueducale
Cette structure, impliquée dans les réactions comportementales, présente également des distinctions :
La région dorsale est associée à l’agression.
La région ventrale est activée lors de comportements de prédation.
Évidemment, il existe encore un certain nombre de régions cérébrales ainsi que des populations de neurones impliqués dans les comportements d’agression et de prédation, il serait fastidieux de tous les énumérer mais cela donne un aperçu des différences qui existent entre ces deux comportements et met en évidence comment ils sont contrôlés par des circuits neuronaux distincts, même si certaines structures cérébrales sont communes.
Agression VS prédation
La prédation est un comportement instinctif destiné à poursuivre, capturer voire consommer une proie. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, tous les chiens ne possèdent pas la séquence complète leur permettant d’exprimer des comportements de prédation dans son entièreté.
De plus, la prédation a pour but de réduire la distance avec l’élément déclencheur ciblé (la proie, un objet etc.).
Dans le cas de l’agression, au contraire, l’objectif est d’éloigner le stimulus déclencheur en adoptant des comportements menaçants et dissuasifs.
L’agression est un comportement principalement destiné à se protéger ou à défendre quelqu’un ou quelque chose et implique une réponse émotionnelle intense.
Tableau comparatif
Critère | Prédation | Agression |
Motivation | Réduction de la distance pour capturer une proie | Augmentation de la distance pour repousser une menace |
Contexte | Recherche alimentaire | Défense d’une ressource ou de soi-même |
Émotion associée | Faible ou absente | Intense, souvent liée au stress |
Exemple | Poursuite d’un lapin | Défense d’une gamelle contre un congénère |
Conclusion
La distinction entre agression et prédation est essentielle pour comprendre et gérer le comportement d’un chien. Ces deux types de comportements, bien que parfois similaires dans leur expression, répondent à des motivations, des fonctions et des mécanismes cérébraux très différents.
Comprendre ces nuances permet non seulement d’interpréter correctement les actions d’un chien, mais aussi d’adopter des stratégies adaptées pour éviter les problèmes ou améliorer la relation avec l’animal.
Références :
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- FLEUROT C (1992). « Les canidés : leurs proies et leurs techniques de prédation ». Thèse de doctorat vétérinaire, Lyon 1.
- DEPUTTE B (2007) Comportements d’agression chez les vertébrés supérieurs, notamment chez le chien domestique (canis familiaris). Bulletin de l’académie vétérinaire de France. Tome 160
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- KLAUS IMMELMANN, Dictionnaire de l’éthologie
- KONRAD LORENZ, L’agression – Une histoire naturelle du mal 1969 - éditions Flammarion
- MARINE LAFARGE. Contribution à l’étude du comportement de prédation du chien sur l’homme. Médecine vétérinaire et santé animale. 2016. Dumas-04546594
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